A. Clavien: Grandeurs et misères de la presse politique.

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Titel
Grandeurs et misères de la presse politique.. Le match Gazette de Lausanne – Journal de Genève


Autor(en)
Clavien, Alain
Erschienen
Lausanne 2010: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
325 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Dans son récent ouvrage consacré aux Partis politiques acteurs de l’histoire suisse (Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010, coll. Le Savoir Suisse), Olivier Meuwly affirme que l’une des difficultés rencontrées est l’absence d’étude systématique et exhaustive de la presse, et particulièrement de la presse partisane. En racontant et en analysant d’un coup les deux grands organes romands liés au Parti libéral-conservateur, Alain Clavien devrait combler en partie cette lacune. Mais peut-on, à propos de la Gazette de Lausanne et du Journal de Genève, parler de presse de parti? L’un des fils conducteurs du livre a été de montrer la plus ou moins grande proximité, selon les époques, des deux quotidiens avec le Parti libéral et ses préoccupations de politique locale, notamment électorales. Adoptant une démarche chronologique (la seule possible en la matière), A. Clavien met aussi en évidence la relation concurrentielle – et cela malgré leur proximité idéologique – entre les deux organes de presse. Ainsi, les sous-titres qu’il a choisis font plaisamment allusion à une compétition d’athlétisme au cours de laquelle l’un ou l’autre, alternativement, prendrait la tête.

Mettons en valeur quelques autres lignes de force de ce travail. Et d’abord l’importance du lectorat étranger, en l’occurrence français, qui seul pouvait faire sortir les deux journaux de leur provincialisme… et contribuer à assurer leur bonne santé financière. Deux pics bien sûr: les périodes des deux guerres mondiales. Après avoir accueilli dans ses colonnes Romain Rolland et son fameux «Au-dessus de la mêlée» qui fustigeait les haines nationalistes, le Journal de Genève préféra complaire à ses lecteurs français en publiant des articles n’ayant rien à envier à la propagande et au «bourrage de crâne» qui sévissaient dans la presse chez nos voisins. La Gazette de Lausanne ne fut pas en reste. Il en alla de même, avec cependant plus de retenue, pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation. Pour franchir les barrières de la censure vichyste, mais sans doute aussi par sympathie idéologique, tant le Journal que la Gazette tinrent un discours clairement pétainiste. A. Clavien détruit au passage le mythe, fabriqué après la guerre, d’un René Payot «grand résistant». Il est vrai cependant que la seule publication d’informations objectives sur la situation militaire, car provenant tant des Alliés que de l’Axe, permettait alors aux Français de mettre en question les bobards de la presse collaborationniste. Le succès en termes de tirage est éloquent: de 1939 à 1941, la Gazette passa de 15 000 à 38 000 exemplaires, le Journal de 13 000 à 50 000.

Ne se bornant pas, comme l’ont fait trop longtemps les analystes de la presse, au seul contenu rédactionnel, l’auteur se penche sur la gestion financière des deux quotidiens, qui furent à plusieurs reprises au bord de la faillite. Les sommes énormes imprudemment investies par les administrateurs de la Gazette dans un projet d’imprimerie mégalomaniaque contribuèrent à l’absorption du quotidien lausannois par son cousin et concurrent genevois, avant que le Journal ne se fonde avec Le Nouveau Quotidien – un nouveau concurrent lancé par Edipresse – dans l’actuel journal Le Temps. On notera au passage que cette relation étroite d’un journal avec une imprimerie censée combler ses pertes financières par des «travaux de ville» concerne aussi la presse d’extrême gauche: ainsi de la Voix Ouvrière avec la Coopérative d’Imprimerie du Pré-Jérôme jusqu’à sa chute. Une autre question financière a divisé les actionnaires: le capital investi dans un journal d’opinion doit-il rapporter un dividende, ou bien faut-il considérer ce dernier comme un investissement idéologique et politique à long terme? A. Clavien s’interroge aussi sur les rapports entre cette presse officieuse du Parti libéral avec la presse dite «d’information», prétendument neutre politiquement, à l’instar de la Feuille d’Avis de Lausanne devenue 24 Heures ou de la Tribune de Genève, dont la concurrence a exercé une pression de plus en plus forte sur la presse d’opinion, amenant la quasi disparition de celle-ci.

Les hommes, et tout particulièrement la personnalité des rédacteurs en chef, ne sont point absents de cette étude. Certains furent médiocres. Avec d’autres, on sent A. Clavien en empathie: le «colonel» Edouard Secretan qui imprima sa marque à la Gazette et suscita des innovations; William Martin qui fit du Journal l’organe officieux de la Société des Nations; et surtout Pierre Béguin, libéral authentique au plein sens du terme qui, succédant à une rédaction très maurrassienne, sut engager une équipe remarquable de jeunes journalistes dont François Gross, Jean Dumur, Christian Sulser, Charles-Henri Favrod qui apporta sur la guerre d’Algérie un regard neuf dans la presse romande… mais il est impossible de les citer tous ici. La Gazette brilla de tout son éclat, auquel s’ajoutait le prestige de la Gazette Littéraire du samedi, ouverte grâce à Franck Jotterand aux nouvelles tendances de la littérature, des arts, de la culture. Dans les années 1950–1960, la Gazette de Lausanne vit donc une rare conjonction de talents, sous la férule à la fois paternaliste et autoritaire d’un «patron» quasi vénéré. Comme pour se libérer de cette fascination et donner des gages de son regard resté critique, A. Clavien parle de «mythe Béguin», expression à nos yeux discutable.

L’intérêt majeur de ce livre est donc dans la perspective globale qu’a choisie l’auteur. Il ne laisse de côté ni les mutations technologiques de l’imprimerie (comme l’introduction de la linotype), ni l’évolution de la presse française depuis la loi de 1881 qui lui donna sa pleine liberté, ni les rapports avec les agences de publicité, ni le statut salarial des journalistes, ni les tentatives de «putsch» de la part de groupes qui ne se reconnaissaient plus dans la ligne rédactionnelle du journal. Notons enfin que cet ouvrage, académique au départ, bénéficie d’une plume alerte, avec ici et là une pointe d’humour ou d’ironie bienvenue. Il nous apprend beaucoup. Au-delà d’un lectorat universitaire forcément restreint, il est de nature à intéresser un plus large public, notamment celui pour lequel tant la Gazette de Lausanne que le Journal de Genève furent une nourriture intellectuelle indispensable, avant de connaître successivement une triste fin, qui augure mal de l’avenir de la presse d’opinion en Suisse.

Zitierweise:
Pierre Jeanneret: Rezension zu: Alain Clavien: Grandeurs et misères de la presse politique. Le match Gazette de Lausanne – Journal de Genève. Lausanne, Antipodes, 2010. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 2, 2011, S. 256-258

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 61 Nr. 2, 2011, S. 256-258

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